Un Noël dans les araucarias

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Après notre petite pause à Melipeuco, qui nous a permis d’échapper à deux jours de pluie diluvienne et de faire le triptyque lessive – école – ravitaillement, nous repartons le dimanche 14 décembre. Ce jour-là, les rues de Melipeuco sont très animées car c’est jour de vote pour le second tour des élections présidentielles au Chili : les citoyens des environs sont donc en ville pour exercer leur droit. Et il y a du monde !

Nous prenons la route plein ouest en direction de Cunco où nous arrivons en fin de journée. La route est facile, asphaltée, avec peu de trafic et une large bande d’arrêt d’urgence qui nous permet de rouler en toute sécurité, tout en essuyant quelques ondées. À l’arrivée à Cunco, après un petit mote con huesillo (spécialité chilienne : boisson à base de blé cuit dans de l’eau avec une pêche sèche réhydratée et de l’eau) sur la place centrale, nous recherchons un lieu où dormir. Après un double échec chez les pompiers, nous finissons par demander chez des gens qui ont un terrain à la sortie de la ville. À peine notre demande formulée, son jeune propriétaire nous offre de planter la tente sur de la bonne herbe bien grasse, puis, après 15 minutes d’échange, nous sommes finalement invités à investir le garage dans lequel il travaille. Ce soir-là, pas besoin de monter la tente, nous dormirons à l’abri de la pluie et du vent, on est bien content ! Nous apprenons le résultat des élections présidentielles : nos amis chiliens viennent de se choisir Jose Antonio Kast, candidat du parti d’extrême-droite, nostalgique de Pinochet (il se prononce notamment en faveur de l’amnistie des militaires condamnés pour des tortures ou assassinat commis sous la dictature) et aligné pour beaucoup de points sur son confrère états-unien. Bon courage à eux…

Pour les prochains jours, nous pourrions continuer par la route goudronnée, qui nous ferait contourner un massif volcanique par l’ouest puis vers le sud. Mais nous avons plutôt envie d’aller faire de petits détours sur piste dans les montagnes et les forêts. Nous étions déjà passés par cette portion de route il y a 13 ans, mais nous avons vraiment envie de nous frotter de nouveau à ses fortes pentes et ses paysages extraordinaires. Nous prenons donc la route vers le lac Colico, malheureusement sous une bonne pluie bien de chez nous qui ne fait que s’intensifier. Vous voyez, les Nantais, cette petite pluie fine mais incessante qui trempe bien en profondeur ! Bon, ce n’est que la seconde fois du voyage, on ne va quand même pas se plaindre ! Mais quand on atteint les rives du lac, le paysage est bouché : impossible de voir la beauté des montagnes environnantes, même la rive en face est cachée dans la brume. Nous quittons l’asphalte et rencontrons rapidement les premiers raidillons en guise de mise en bouche : la pente est tellement prononcée qu’il faut mettre pied à terre et pousser les vélos. Dix kilomètres plus loin, nous faisons étape sur le site d’un petit camping pas encore ouvert pour la saison. Parfait, nous nous calons sur un petit emplacement à quelques mètres de la plage. Mais nous resterons coincés sous la tente une bonne partie de la fin de l’après-midi par la pluie battante.

Le lendemain, les choses sérieuses commencent vraiment. Mais heureusement les nuages se sont levés et on va pouvoir pédaler au soleil. Et ça change l’ambiance ! Pour nous motiver, nous avons comme objectif d’atteindre les thermes du Rio Blanco. La région est parsemée de volcans encore actifs et elle a une activité géothermique intense. Facile d’y trouver des thermes, il y en a pas mal dans le coin ! En attendant, il va falloir y arriver… On enchaîne les sessions de relai pousse-pousse avec les vélos, les kilomètres défilent beaucoup moins vite que prévu, la pente est folle… on était bien plus rapide dans les montées péruviennes longues mais avec une pente raisonnable. Pour vous donner un ordre d’idée, une famille passée il y a quelques années avait mesuré certaines pentes à quasiment 20 %, et de nombreuses à plus de 10 %. Sur les derniers kilomètres avant d’arriver aux thermes, la fatigue commence à se faire sentir et on a l’impression de se retrouver face à un mur. Bon, y a plus qu’à ! On s’organise, les enfants jouent le jeu et continuent de s’entraider à pousser leurs vélos un par un. Et quand on arrive aux thermes, tout ça est oublié : le lieu est magique ! En quelques minutes, les plans changent : nous pensions arriver en milieu de journée, il est quasiment 18 heures. On devait faire les leçons : oublié ! On devait partir le lendemain : on va rester une journée ! Allez, on est là pour en profiter, nous prenons le temps. Et il nous faut aussi recouvrer des forces pour la suite car il reste encore de nombreux kilomètres du même acabit pour la suite. Les thermes sont aménagés de façon très naturelle en comparaison avec ce que nous avons vu en photo d’autres structures du coin. On campe juste à côté de deux petits bassins en pierre au bord du torrent. C’est vraiment le paradis, les enfants sont aux anges ! La famille qui gère le lieu est très gentille, le frère et la sœur s’occupent de ce terrain investi par leur grand-père il y a presque 100 ans. Au vu de l’isolement du lieu, difficile d’imaginer la vie de ces personnes en ce lieu au début du XXᵉ siècle…

Au matin du départ commence une journée-type parfaite de voyage à vélo : paysages incroyables, pas mal de difficultés pour le défi physique, des rencontres humaines géniales ! On commence par papoter avec une famille de touristes installée pour la nuit un peu plus haut sur le terrain. Ce sont des retraités autrichiens avec leur fille, son mari et son bébé. On discute un peu, et au bout de quelques minutes, ils nous offrent du papier toilette (ouf, il ne nous en restait presque plus, mauvaise gestion du stock !), du chocolat (pour les enfants, on va finir par croire qu’ils font pitié…). Ils nous demandent si on a un panneau solaire, nous leur expliquons que, pas de bol, le nôtre nous a justement lâché il y a quelques jours… Qu’à cela ne tienne, lui nous offre le sien en nous expliquant que de toute façon il ne s’en sert pas, qu’il nous sera certainement plus utile qu’à nous. C’est Noël avant l’heure, en plus il s’agit exactement du modèle que nous cherchions il y a quelques années et qui était en rupture de stock !

Après cette belle pause, c’est reparti pour les montées !! Ça commence très fort avec les 2 premiers kilomètres de montée parcourus en… une heure !! WOOOO ! Super vitesse ! Ça pousse, ça tire, c’est dur, mais les relais pousse-pousse sont fluides. L’avantage, c’est que presque personne ne passe par ici, on est très très tranquille avec seulement les chants des oiseaux. Et nous sommes largement récompensés par le paysage dans lequel nous évoluons : toujours ces majestueux araucarias, des volcans enneigés, la forêt à perte de vue, c’est beau et paisible, on se régale ! Et quand ça redescend, c’est presque plus difficile car après le col, l’état de la piste se dégrade. Les pentes sont toujours aussi fortes et les énormes graviers nous obligent à avancer avec prudence. Quelques chutes sont à déplorer mais heureusement sans bobo. Les enfants pensaient profiter d’une longue descente après le col mais il s’agit en fait d’une “descente” en montagnes russes. En fin de journée nous nous retrouvons effectivement plus bas qu’au col mais après avoir passé en fin de compte plus de temps à pousser les vélos dans les montées qu’à descendre.

A la fin de la journée, on est tous un peu rincé, mais ce n’est pas fini !!! Nous demandons l’hospitalité à la famille de Nivia qui accepte avec plaisir. On vient à peine d’arriver qu’on est déjà attablé avec tout le monde, Nivia nous offre un délicieux jus de pêche-fraise qu’elle vient de confectionner juste pour nous. Nous perdons rapidement de vue les enfants qui sont trop contents d’aller jouer avec Vicente et Antonella loin de leurs parents : les filles vont se balader et rendre visite aux moutons, Nahuel part pêcher à la rivière… Bref, c’est le paradis pour eux et pour nous ! Après avoir passé la soirée ensemble, ils nous offrent finalement de dormir dans une de leurs petites maisons où cette fois, nous aurons des lits pour nous reposer ! Journée parfaite, quel plaisir de rencontrer des gens à l’improviste !

Nous repartons confiant de Flor del Valle, la route devrait descendre la vallée jusqu’à Curarrehue que l’on devrait atteindre en fin de journée. Et on nous l’a dit : Pura bajada (Pure descente) ! Bon, on comprend vite que ça ne se passera pas vraiment comme ça. La “descente” est hachée par de nombreux raidillons qui nous obligent à mettre pied à terre ! En milieu d’après-midi, on passe juste à côté d’un petit spot de bivouac sauvage très très calé sur une sorte d’île au bord du torrent. Trop bien ! Nous décidons de nous arrêter tôt ce jour-là pour profiter de la sérénité de cette petite vallée. On se prend pas mal de pluie en soirée mais les nuages nous offrent une luminosité magique. C’est vraiment dans ce genre de moment qu’on se dit qu’on aimerait n’être nulle part ailleurs !

Finalement, après une dernière belle demi-journée, nous arrivons a Curarrehue ! Notre non-planning est totalement à jour, c’est-à-dire que nous n’avons aucun plan pour la suite. Il y a une petite foire de Noël sur la place centrale du village, nous nous y posons le temps de découvrir les artisans locaux. On papote, les gens que nous rencontrons sont vraiment super gentils et accueillants. Et on nous fait comprendre que plus bas dans la vallée, ce sera plus touristique… Finalement, pourquoi ne pas rester ici pour Noël dans cette bonne ambiance ? Il y a pas mal d’activités à faire dans le coin, et comme par hasard, on tombe sur une cabana vraiment chaleureuse qui nous fait de l’œil avec son intérieur tout en bois, ses canapés, son poële, ses lits moelleux et ses serviettes en coton. Sofia est super contente d’avoir un escalier (chacun ses plaisirs). C’est décidé, ce sera notre cadeau de Noël familial : on s’offre une pause dans ce petit cocon ! Ce sera donc la seconde fois que nous fêterons Noël dans ce village de 7000 âmes, car nous y étions déjà à la même période il y a 13 ans ! Quel délice le premier soir ! En plus de la joie de s’installer dans ce petit cocon, de savoir que nous faisons une vraie pause, il pleut à verse dehors : on s’allume un petit feu dans le poêle. Ce soir-là, nous nous endormons tous avec un grand sourire aux lèvres.

Cela fait donc cinq jours que nous sommes à Curarrehue. Ce séjour a été vraiment très complet puisque nous avons pu découvrir ou apprendre plus sur la culture mapuche locale (75 % des habitants de Curarrehue sont mapuches), celle du peuple indigène les plus important au Chili, appelé ici Pewenches (le prénom de Nahuel provient de leur langue, le mapundungu). Grâce à la petite feria de Noël, nous avons assisté à des ateliers cuisine avec recettes et ingrédients locaux, cuisine que nous avons pu goûter dans une petite cantine en face de « chez nous ». Les pinions des araucarias sont largement utilisés dans la cuisine mapuche : ils sont on ne peut plus locaux et très nutritifs. Nous avons aussi découvert un beau matériau local : le picoyo, encore appelé ambre chilien. Il provient aussi des araucarias endémiques de cette region du Chili (Araucaria Araucana), ces grands arbres dont nous vous parlons depuis que nous avons passé la frontière. Ces grands arbres peuvent vivre entre 2500 et 3000 ans environ. Une fois morts, ils finissent par tomber à terre et se décomposer naturellement. Une seule partie ne se décompose pas : les nœuds à la base des branches. Ces parties, gorgées de résine (d’où son nom d’ambre chilien) sont exceptionnellement dures (il faut suffisamment de résistance pour supporter chaque branche, soumis aux vents d’ici et à la neige en hiver) et imputrescibles : c’est le picoyo ! Sur la petite foire, nous avons eu l’opportunité de rencontrer Andrea et Andres, qui travaillent ce matériau pour fabriquer de beaux bijoux. Nous voulions offrir des bracelets aux enfants pour Noël, nous avons été invités par Andres dans son atelier afin que les enfants fabriquent aux-mêmes leurs bijoux (accompagné par le bijoutier évidement). C’était un cadeau inattendu mais vraiment chouette ! Nous avons enfin eu la chance d’aller nous balader à pied sur une petite boucle dans la montagne qui nous a permis de voir six magnifiques cascades.

Bref, des “vacances” de Noël vraiment vraiment sympa ! Nous espérons que vous avez tous passé d’excellentes fêtes de Noël et que chacun a pu profiter de ses proches. C’était étrange pour les enfants de passer ce Noël si loin de ceux qu’on aime (Alicia a eu un petit coup de blues), on aimerait bien pouvoir se télétransporter pour serrer notre famille et nos amis dans nos bras le temps d’une journée. Mais personne ne voudrait pourtant être ailleurs aujourd’hui. Cette aventure en famille est tellement géniale ! Ce n’est pas tous les jours facile : le voyage ne résout pas les “difficultés” familiales. Oui, nous nous prenons la tête comme dans n’importe quel couple, oui nos enfants se disputent comme dans n’importe quelle fratrie, oui parfois on aurait envie de les bâillonner et de se faire une soirée en amoureux. Sans compter que la fatigue amplifie tout. Mais tout est plus intense, y compris les joies et les bonheurs ! Et ce voyage, c’est beaucoup de bonheur : le kiff de voyager, celui de voir nos enfants grandir dans cet environnement en perpétuel changement, ces paysages exceptionnels, ces rencontres enrichissantes et marquantes. Bref, on est heureux ! On vous souhaite plein de bonheur pour la nouvelle année à venir !

La suite au prochain épisode !


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